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Les aventures du petit personnage sans tête

Chapitre 4: La danse

Dans le chapitre précédent, le petit personnage a rejoint une secte dont les membres étaient comme lui, démunis de tête. Heureusement, il quitta le groupe, réalisant qu’il s’agissait d’une escroquerie. Mais au cours de ses pérégrinations, il perdit de vue son compère, l’oiseau magique.

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Dans le ciel, aucune trace de l’oiseau magique. « Quel idiot ai-je pu être de l’avoir abandonné! » pensa le petit personnage alors qu’il marchait dans la ville biscornue. Il estimait que s’il avait perdu sa créativité, il lui restait au moins du pragmatisme. Cela pouvait être utile aussi après tout ? Il décida donc de laisser reposer son esprit en explorant les lieux et en lâchant, l’espace d’un moment, son obsession pour sa tête.

C’est ainsi qu’il se balada dans la ville biscornue. 

C’était un endroit fascinant: des ponts partout, des habitations et commerces emboîtés les uns aux autres à flanc de roche, grouillant de toutes sortes de créatures. Certains faisaient du tricycle volant, d’autres portaient leurs marchandises en équilibre sur leurs têtes, d’autres discutaient, commerçaient dans un festival de langues imaginaires. Il y avait une atmosphère si vivante. Les passerelles faisaient des loopings, des tuyaux et des panneaux de marchands surgissaient de tous coins. 

Tandis que le petit personnage contemplait cette effervescence, il réalisa soudain quelque chose d’extraordinaire: tout ce qu’il voyait là provenait simplement de son imagination.

C’est à ce moment-là qu’une ombre le recouvrit: celle de son compagnon ailé qui planait là, de retour, juste au-dessus de lui.

Ravi de cette retrouvaille, le petit personnage fit de grands signes pour attirer son attention. Mais l’oiseau continuait de tournoyer indifféremment dans les airs, comme s’il ne le remarquait pas. Son esprit créatif, lui faisait-il la tête ?

C’était le comble pour notre héros malchanceux ! Il admit qu’il s’était montré peu reconnaissant et peut-être même un peu autoritaire à cause de son empressement. Peut-être devait-il s’excuser ? Il s’agenouilla sur le bord du sentier puis s’adressa à son acolyte à plumes.

– Mon ami, je te demande pardon! Je n’aurais pas dû t’ordonner de me poser ici, et encore moins d’utiliser les oreilles que tu m’avais généreusement données en guise de monnaie!

L’oiseau, cependant, ne réagit pas à ces excuses. Il continuait de circuler librement dans les airs.

– Je t’en prie, excuse-moi ! lança encore le petit personnage attristé.

Aucune réaction. Mais cette fois, le silence fut brisé par une voix féminine qui venait d’un peu plus loin sur le sentier:

– Cher ami, c’est inutile.

Surpris, le petit personnage se tourna vers son interlocutrice. Celle-ci était vêtue d’une toge brodée à capuche. Elle ne disposait que d’un seul oeil, mais celui-ci était immense, ouvert au beau milieu du front. En guise de couvre-chef, elle portait un imposant panier ornementé rempli de fruits. Il s’agissait sans doute d’une marchande de la ville biscornue.

– Tu n’as pas à présenter d’excuses à ton esprit créatif. Cela n’a aucun sens!

– Mais, je ne l’ai pas écouté! Et maintenant, il m’ignore. Que j’ai été bête!

– Ce n’est pas ce que tu crois. Ce genre d’oiseau, ça ne se contrôle pas sur commande. Il ne t’es pas accessible pour le moment. Laisse-le donc voler.

– Mais… Comment vais-je faire sans lui pour retrouver ma tête dans ce monde imaginaire ?

– Pauvre ami, tu as l’air bien loin de comprendre…

– Comprendre ? Mais quoi donc ?

– Qu’il n’y a rien à comprendre, évidemment. Suis-moi, ce sera toujours mieux que de rester là à geindre!

Dubitatif, le petit personnage relança un coup d’oeil à l’oiseau qui poursuivait ses loopings en toute indépendance. Il se dit qu’après tout, il n’avait pas de meilleure option.

Il marcha sur les pas de la jeune cyclope, le long du sentier. Ils arrivèrent au coeur de la ville biscornue, sur un réseau de passerelles où à chaque mètre s’étalait un tapis de marchand. La cyclope s’installa sur l’un d’entre eux et y déposa le contenu de son panier. Le petit personnage réalisa alors quelque chose de choquant: il ne s’agissait pas de fruits, mais de globes oculaires !

– C’est ici que je travaille. Ici, on s’active beaucoup! On a pas le temps de rêvasser!

Ce à quoi le petit personnage, confus, formula timidement:

– Mais… …Ce que vous vendez… C’est…

– Des yeux! Oui. C’est ce que je cultive.

En retirant sa capuche, la jeune fille dévoila son crâne. Il était constellé de trous. Au fond de certains d’entre eux, de minuscules yeux étaient encastrés.

Devant cette vision peu reluisante, notre protagoniste égaré avala sa salive dans ce qui lui restait de cou.

Il dévia son regard vers les autres marchands. A droite, le vendeur s’était ouvert le crâne. Il déposait dans des bols des parties de son cerveau qu’il mettait en vente derrière un écriteau indiquant: “Soupe d’idées à bas prix”. A gauche, il découvrit un marchand qui avait mis en rayon son propre coeur. Celui-ci, bien qu’extrait de son corps, battait encore.

“Mais que font ces gens?” se demanda le petit personnage, quelque peu sonné.
 
– Nous faisons de notre mieux, répondit la jeune cyclope, comme si elle avait su lire dans ses pensées. On doit tous offrir une part de soi, c’est normal, quand on vit en communauté. On ne peut pas juste rêver chacun dans notre coin, il faut savoir partager. Moi j’échange mes yeux. J’ai de la chance, ils repoussent au bout de quelques mois, mais c’est douloureux de les enlever.
 
– Mais, pourquoi vendez-vous des choses qui vous causent des douleur en les exploitant ?
 
– Les choses qui ne causent pas de douleurs ne valent rien! répondit-elle sèchement. Et puis, au lieu de poser des questions, mets-toi aussi au boulot! poursuivit-elle en lui désignant un tapis libre juste en face.
 
Le petit personnage s’y installa à contre-coeur, mais il ne voyait pas trop quoi faire d’autre de toute façon. Il s’interrogea sur ce qu’il pouvait mettre en vente. Il lui manquait déjà sa tête… Se mutiler davantage lui paraissait complètement insensé.

Devant lui, la créature et les autres marchands interpelaient à grands cris les passants, mettant en concurrence les souffrances qu’ils avaient endurés. Malgré leurs efforts, la plupart des badauds semblaient assez indifférents aux produits étalés. Certains s’arrêtaient, semblant évaluer la valeur des produits, puis se ravisaient. Le petit personnage restait stoïque devant ce spectacle.

Mais, en même temps, son esprit comme figé se laissa absorber par les appels des marchands, les cliquetis des objets et le tempo des pas des passants de sorte que, tout naturellement, il se mit à danser.

Les sons se muaient pour lui en une irrésistible musique et son corps en devenait peu à peu l’ambassadeur. En lui, c’était comme si le son parvenait à extraire du glauque de la situation quelque chose d’infiniment positif, de le décanter pour en révéler des atomes de plaisir. Un plaisir qui, en circulant dans ses veines, anima ses membres et révéla à tous une beauté insoupçonnée qui existait bien là pourtant. 

Le petit personnage était comme possédé. Tous les passants s’arrêtèrent. Les visages des marchands s‘éclairèrent d‘un air ému, voire émerveillé. Jamais ils n’avaient vu quelqu’un proposer sur ces tapis quelque chose qui n’était pas issu d’un labeur et qui, de plus, ne se troquait pas mais simplement se diffusait. 

Les mouvements du petit personnages semblaient incontrôlables et tout le monde autour soutenait ce rythme décousu en clappant des mains de façon cacophonique. 

Tandis qu’il dansait, son tapis s’élevait dans les airs, doucement. 

Tout le monde était animé d’une joie pure. Les marchands et passants se mirent à chanter et danser à leur tour. Une fête incontrôlable eut lieu…

Toujours plus haut dans les airs, le petit personnage ne perçut bientôt plus l’animation festive des habitants en-dessous. Il s’affala sur le tapis volant et contempla le ciel aux nuages cotonneux. 

« Quelle étrange aventure! » se dit-il tout en constatant son bien-être. Il découvrit que des passants lui avaient même laissé de la monnaie. 

D‘un coup, alors qu’il glissa les pièces dans ses poches, son tapis se retrouva comme soulevé par quelque chose. C‘était l’oiseau magique qui était de retour: il s’était positionné juste en dessous pour récupérer en plein vol son acolyte.

– Tu es revenu ?! s’écria le petit personnage. Tu ne me boudes plus ?

– Moi ? Bouder ? Mais enfin! Je faisais juste des étirements célestes. Même l’imagination a besoin de faire des pauses.

– Ah OK…

C’est donc ainsi que les deux complices poursuivirent leur aventure…

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