Les aventures du petit personnage (sans tête)
Chapitre 1: Les portes
Souvenez-vous: après s’être réveillé un matin dans sa chambre, le petit personnage constata avec surprise que sa tête avait disparu. Une curieuse créature planquée sous son lit lui révéla que pour la retrouver, il devait se rendormir et partir à sa recherche dans le monde des songes, ce qu’il entreprit aussitôt.
Musique d’accompagnement
Le petit personnage n’avait pas le souvenir d’avoir déjà visité ce lieu. Il était planté là, sur un vaste nuage paré d’une multitude de protubérances. Tout autour résidaient le bleu du ciel ainsi que d’autres formations nuageuses. L’atmosphère, d’un calme olympien, n’était animée que par un vent frais. Plutôt que de geler sur place, notre héros décida d’explorer les environs. Il avait l’impression de marcher sur une épaisse couche de mousse, une sensation plutôt agréable. Certains monticules de nuage s’avéraient si épais qu’il formaient des remparts impossibles à franchir, creusant comme des allées où il était possible de passer. Parfois, la brume s’intensifiait et il fallait avancer à tâtons.
Finalement, ce chemin sinueux conduisit le petit personnage face à trois portes. Arrivé là, il n’y avait pas d’autre option que d’en choisir une. La première, sur la gauche, était imposante. Elle était ornée en son centre d’une tête de lion en or massif. La seconde, au milieu, était une jolie grille de jardin. Quelques ronces s’en échappaient, de même qu’une attirante odeur florale, mais il y avait trop de brouillard pour distinguer quoi que ce soit au travers des barreaux. Enfin, la dernière sur la droite consistait en une modeste porte en bois. Hésitant sur laquelle ouvrir, le petit personnage tenta de se remémorer sa précédente visite, en vain. C’est alors que la grande porte à l’effigie de lion se mit à lui parler, d’une voix grave et puissante : « Pauvre âme égarée, tu n’as plus de tête, mais je te guiderai vers le succès et la réussite. Il y a dans la vie des règles à suivre, un comportement précis à avoir pour réussir. Si tu te retrouves ici, c’est que tu étais sur la voie de l’échec. Ouvre-moi et je te façonnerai un esprit fort. »
Puis, ce fut la grille de jardin qui se manifesta: « Ne l’écoute pas! Le succès ne fait pas le bonheur. Le bonheur se trouve juste derrière moi. Tu n’as plus de tête, alors profites-en! Tu verras, le bonheur t’accueilleras les bras grands ouverts. Tu n’auras aucun effort à fournir, ta vie sera facile!
Sur ce, la troisième porte s’empressa de prendre parole: « Ne fais pas attention à mes voisines. Elles te font miroiter des mirages. Choisis ce qui est sûr, ce que tu as toujours suivi. Ne prend pas de risques inutiles. Tu as perdu ta tête, mais tu as encore tes mains et tes jambes. Continue avec ce que tu as. »
Devant ce dilemme, le petit personnage se gratta… …l’espace vide qui siégeait au-dessus de son cou.
Mais soudain, un immense oiseau fit irruption au-dessus de lui. On aurait dit une sorte de colombe géante dont le plumage changeait constamment de couleurs. En fait, ses plumes semblaient liquides. Elles projetaient des gouttes multicolores au gré de ses mouvements. L’animal se posa délicatement tout près du petit personnage, lui tendit deux oreilles ainsi qu’ un tube de colle. Celui-ci, faute de tête, les fixa alors sur ses épaules. Il entendit alors toutes sortes de sons étranges qu’il n’avait pas perçu avant: des Boums! des Bams! des Chklonk!… Ses nouveaux outils auditifs lui permirent aussi d’écouter les paroles de ce nouveau venu:
« Cher ami, ces portes ne disaient rien, c’est ton imagination qui a créé leur dialogue. »
Voyant son interlocuteur abasourdi par cette révélation, l’oiseau renchérit :
« Réfléchis: comment aurais-tu pu entendre quoi que ce soit alors que tu n’avais plus d’oreilles ? Tu as perdu ta tête, c’est vrai, mais heureusement, pas ton imagination.»
Devant le manque de cohérence de cette remarque, le petit personnage se permit de relever:
– Mais si je n’avais plus de tête, je n’aurais certes pas pu entendre, mais je n’aurais pas non plus été capable de réfléchir, ni de voir, ni de parler. Tout ceci n’est donc qu’une invraisemblable illusion… Mais je suis dans un rêve après tout !
– Oui c’est exactement ça. D’ailleurs je suis ton esprit créatif. Grimpe sur mon dos et tu verras les vils pièges que ton imagination avait concocté derrière ces portes.
Le petit personnage demeurait quelque peu dubitatif. Ce drôle d’oiseau ne semblait pas saisir à quel point ses propos étaient incongrus. Malgré tout, il s’exécuta. La créature fit de gros battements d’ailes, balayant le brouillard, puis prit son envol. En survolant la première porte, le petit personnage fut stupéfait de découvrir qu’il s’y cachait un tapis roulant menant à un concasseur géant. Les sons perçus précédemment provenaient de cette machinerie infernale. L’épaisse brume derrière la grille de jardin dissimulait un terrain boueux où des gens hagards rampaient, drogués par les effluves de fleurs empoisonnées. Enfin, la porte de bois menait à des escaliers sans début ni fin.
« Ouf! Je l’ai échappé belle. » pensa alors le petit personnage. Mais qu’en est-il de ce drôle d’oiseau? Puis-je vraiment compter sur lui? Après tout, lui aussi fait partie de mon imagination. »
L’animal, lisant dans ses pensées, tacha de le rassurer:
« Aie confiance en ton esprit créatif. Tu as une imagination un peu sadique, mais ta créativité te sauvera toujours. »
– Mais comment vais-je retrouver ma tête ?
– Ta tête est là-bas, mais aussi ici et un peu par là.
– Ça ne m’aide pas beaucoup !
– Pour la retrouver, tu dois la chercher. Je vais t’emmener en ville. On va voir aux objets trouvés.
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