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Migration (au pays du) Colvert

Le lundi 28 septembre 2020

Ne rien faire. Assis au bord du lac, je regarde. Le ciel d’un blanc laiteux s’est paré d’un amoncellement de nuages grisâtres. Certains se détachent sur les collines bleutées qui s’étendent à l’horizon. J’entend les clapotis de l’eau. J’observe la clique des canards. Ils sont douze. J’écoute leurs cancanements. Au dessus de ma tête, une corneille croasse avant de prendre son envol tandis que, juste en face, une nuée de moucherons chatouille ma vue. Le lac est calme, le ciel est terne mais la température est agréable. Je suis confortablement assis sur un rocher qui sied parfaitement à mon derrière. Les mouettes font un numéro de voltige. Je ne fais rien. Je contemple les couleurs, les textures. J’écoute l’eau. Je respire l’horizon. Je suis seul parmi les animaux, l’air et les vagues. Un coup de vent survient. Comme s’il fallait le rattraper, l’eau fait onduler sa surface. Ces ondes parfaites se fracassent les unes après les autres aux rochers sans pour autant m’éclabousser. J’assiste aux aller-retours des canards. Certains semblent me toiser du regard. Ils sont à présent tout autour de moi. Ensemble, nous ne faisons pas grand chose. Eux naviguent tranquillement, se posent sur des rochers avoisinants, secouent des ailes… Certains mâles se chamaillent, caquettent et cherchent à pincer leurs semblables. Des moments d’agitation localisés de quelques secondes qui ne troublent pas l’ensemble de la communauté. Moi je ne bouge pas. C’est comme si mon immobilité faisait office de passeport au pays des canards.

Soudain, un croassement trouble la quiétude des palmipèdes, divisés en deux groupes, l’un à ma gauche, l’autre à ma droite. Comme figés sur place, ils me fixent du regard. Je leur rend l’air interloqué, presque immuable sur mon rocher. Après un instant, ils retournent à leurs occupations: toilettage, battements d’ailes et cancanements. Par moments, certains défilent devant moi comme pour tenter d’éluder le mystère de ma présence auprès d’eux. Ce n’est peut-être qu’une impression. Comment savoir comment pense un canard? Les oiseaux s’approchent de plus en plus près. L’un d’entre eux s’installe sur le rocher voisin pour faire sa toilette. Mais le bruit d’un vélo dévalant la pente dissimulée derrière le muret qui nous sépare de la civilisation humaine les effraient. Le groupe entier se déplace soudainement de deux à trois mètres, manifestant en cacophonie son émoi. Mais comme toujours, le calme revient et tous s’approchent gentiment à nouveau. Haut dans le ciel, des oies en formation V se dirigent du Nord au Sud. Cela semble provoquer une vive discussion dans la communauté des canards. Le calme réapparaît. Puis le moteur d’un stupide yacht vient salir le silence et semer de nouvelles vagues. Celles-ci ne perturbent ni la confrérie palmée, ni moi-même sur mon rocher. Nous commençons à avoir l’habitude de ces perturbations chroniques. Un peu plus tard, les canards s’éloignent et je reçois la visite d’un autre protagoniste peu farouche: un cygne en quête de nourriture. Je n’ai rien d’autre qu’un carnet à lui présenter. Page après page, je lui en fais découvrir le contenu, comme s’il s’agissait d’un document officiel, de l’autorisation légale de pouvoir siéger sur ce rocher, bien plus que de lui faire comprendre que cela ne peut être dégusté. Mais son sifflement menaçant ne laisse aucun doute: je dois m’en aller. Résigné, je cède la place. L’animal au blanc plumage en a décidé ainsi. Moi qui étais bien toléré, qui me sentais bien ici, me voilà contraint de revenir au pays des humains…

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