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Les aventures du petit personnage...

Chapitre 3: Guruguss

Rappelez-vous: à la fin du chapitre précédent, après une rocambolesque virée dans un bâtiment administratif sans queue ni tête, le petit personnage aperçut son visage dans le reflet d’une flaque d’eau. 

> Lire le chapitre précédent

Souriant et virevoltant de joie, le petit personnage s’empressa de rejoindre l’oiseau qui l’attendait sagement en buvant un thé. « J’ai retrouvé ma tête! » lança-t-il. D’un air perplexe, le volatile répondit: « Tu l’as retrouvée? Mais… …pourquoi ne l’as-tu pas remise sur ton cou? »

Surpris, le petit personnage stoppa sa course puis dirigea lentement ses mains là où était censé siéger son visage… Hélas, il n’y avait qu’un espace vide et ses paumes ne firent que brasser de l’air. 

« Mais, je ne comprends pas! s’écria-t-il. J’ai vu mon visage dans le reflet d’une flaque ! Il était bien vissé à mon cou, c’était dans une caverne juste là… 
– Il n’y a pas de grotte ici, voyons, juste un bâtiment administratif. Tu n’as dû voir que ce que tu souhaitais voir. Ça arrive souvent ce genre de choses ici, dans le monde des songes.

Dépité, le petit personnage fixa tristement le sol. Face à ce désespoir apparent, l’oiseau magique tenta de lui remonter le moral :
– Ce n’est pas grave, tu sais, on va la retrouver ta tête ! Il ne faut pas perdre espoir. Au moins, tu sais que ce lieu n’était pas le bon endroit pour toi, c’est déjà ça. Allez, grimpe sur mon dos, on va aller voir ailleurs !

C’est ainsi que, propulsés par de grands battements d’ailes, les deux compères s’élevèrent à nouveau dans le ciel. L’oiseau prit de la hauteur pour mieux redescendre : il fendit l’air et regagna la ville biscornue. Dans celle-ci, les activités allaient bon train : commerçants et badauds circulaient. Il y avait toute sorte de créatures, une diversité qui s’affairait devant des commerces et habitations troglodytes. Alors qu’ils survolaient le centre-ville, des mots parvinrent au petit personnage : « la vérité » « le pouvoir », « vous », « Le pouvoir est en vous ». Ces bribes de paroles attirèrent son attention sur une place en contrebas, perchée au sommet d’un promontoire rocheux et relié au reste de la cité par plusieurs ponts de cordes. Un attroupement d’une trentaine de personnes s’y trouvait, installé devant ce qui semblait être un nuage diffus et coloré. Mais en regardant de plus près, le petit personnage remarqua quelque chose de stupéfiant : les spectateurs étaient tous, comme lui, démunis de têtes.

– Pose-moi là ! Regarde ! Il y a des gens comme moi ! lança-t-il surexcité au volatile qui s’exécuta alors sans rouspéter.

A peine atterri sur la place, le petit personnage descendit de sa monture et s’élança vers le groupe. Les membres étaient disposés en rangées. Néanmoins, lorsque notre héros tentait d’engager la conversation, ceux-ci ne réagissaient pas: ils semblaient tous absorbés par le spectacle. C’est pourquoi il se contenta de s’incruster au second rang. Dans le nuage qui leur faisait face, un être immense au corps élancé, vêtu d’une toge et d’un haut chapeau pointu était lancé dans un discours. Il tenait à la main un sceptre surmonté d’une pierre précieuse et s’exprimait tout en illustrant ses paroles de gestes gracieux :

– Se retrouver dans votre situation est difficile. Mais ce n’est point une fatalité. Moi, Guruguss, je sais ce qu’il en est. Je vous comprends. Vous êtes pointés du doigt parce que vous n’êtes pas comme eux. Ils ne peuvent vous comprendre car ils n’ont pas en eux cette flamme que vous possédez tous. Mais moi, chers amis, je sais. Si vous êtes venus si nombreux aujourd’hui, c’est parce que vous êtes conscients de porter en vous la vérité qu’ils cherchent tous à cacher, car ils ont peur. Ceux qui ont tenté d’éteindre votre flamme intérieure n’y sont pas parvenus et ils n’y parviendront jamais. Aujourd’hui, chers amis, est un jour nouveau. Il est temps pour vous d’être enfin l’architecte de votre propre identité. Le voyage de la grande révélation vous attend… La vérité est à votre portée maintenant, car vous l’avez décidé, car vous êtes réunis ici.

Ainsi s’exprimait-t-il, flottant dans son nuage miroitant de lumières colorées. Le petit personnage aurait affiché un air béat s’il n’était pas démuni de visage devant ce tableau mouvant. Au-dessus de lui, son compagnon l’oiseau tournoyait d’ennui. Il semblait essayer de lui dire quelque chose, mais le son de sa voix était couvert par une musique envoûtante ainsi que par les paroles du dénommé Guruguss. Le petit personnage ne prêta plus attention à son compagnon et profita de la magie de l’instant.

– Les amis, voici venu le moment ! poursuivit Guruguss. Le moment de renaître enfin, d’accéder à la vérité qui vous est propre ! Entrez dans la vérité maintenant !

Pendant ce temps, avec un bruit mécanique qui aurait pu briser la magie du moment si une magnifique animation de fleur n’avait pas été projetée simultanément, une passerelle surgit du nuage et s’avança lentement vers les spectateurs. Un homme petit et trapu en sortit, déploya un cordon pour en libérer l’entrée suivi d’une fille aux ailes de fée munie d’une jarre. Les sans-têtes s’avancèrent alors en file indienne. Chacun donna quelques pièces à la fille puis s’aventura sur la passerelle. Problème : le petit personnage était fauché. Il décida donc d’utiliser les oreilles que l’oiseau lui avait données en guise de monnaie. Ceci fut accepté et l’accès lui fut autorisé. Au-dessus de sa tête, l’oiseau magique qui tentait de lui faire signe disparut, masqué par la brume du nuage dans lequel il s’enfonçait.

En marchant le long de cette passerelle, le petit personnage fut émerveillé par la multitude de couleurs projetées dans les volutes nuageuses. Il voyait des fleurs s’épanouir, des oiseaux voler ainsi que toutes sortes d’animations psychédéliques fascinantes. Il se sentait bien, léger. Il avait le sentiment que l’air qui siégeait au-dessus de son cou était agréable à porter et que tous ses problèmes s’étaient envolés. 

Lui et ses semblables arrivèrent dans un espace fermé, une pièce ressemblant à une capsule, tapissée de blanc. Chacun fut invité par la fée à s’asseoir sur un petit coussin bleu posé à même le sol. Toute la troupe s’installa silencieusement, faisant face à un écran géant. Après quelques secondes, les lumières s’éteignirent et l’écran s’alluma. Guruguss y réapparut.

« Ne l’oubliez jamais : vous avez raison ! Les autres, ceux de dehors, ont tort ! Ils vous jugent, ils vous rabaissent, car ils voient en vous le courage qu’ils n’ont pas. Ils ne sont bons qu’à s’empiffrer d’hamburgers! Ils sont idiots par paresse et parce qu’ils sont manipulés, conditionnés depuis le début. Ils sont égoïstes et ne voient pas la vérité car ils vivent dans l’angoisse ! Ici, vous êtes à l’abri de leur monde effrayant. »

L’assistance acquiesça.

«  Eux sont contrôlés par la peur alors que vous n’êtes contrôlés que par vous-mêmes ! Sur ce, tendez les mains. » 

Les participants obéirent. 

La fille aux ailes de fée et le type trapu défilèrent alors dans les rangs pour distribuer à chacun une grosse boule de polystyrène et un marqueur. Guruguss poursuivait son discours: 
« Il est temps pour vous de renouer avec votre identité véritable. Si vous êtes ici, c’est que vous êtes un être exceptionnel. Un être au caractère unique, qui n’a pas à recevoir d’ordre de quiconque, qui n’a pas besoin des autres pour se définir. C’est la raison qui explique votre présence dans notre groupe. Sur cette boule, vous allez affirmer votre identité en dessinant votre propre visage. Ce visage unique qui VOUS caractérise est votre passeport pour Sirius, le monde de l’Éveil, où vous me rejoindrez pour transformer l’univers.  »

Encore une fois, les participants s’exécutèrent.

Ils saisirent le marqueur et dessinèrent avec application un visage. Quelques uns semblaient réfléchir avant, prenant de grandes respirations. Peut-être se concentraient-ils afin de livrer un dessin original qui pourrait vraiment représenter leurs personnalités uniques ? 

Le petit personnage, lui, était à la traîne. Devant cette austère boule de polystyrène, il peinait à visualiser comment il pouvait dessiner son propre visage. Lui qui avait habituellement tant d’imagination se retrouvait ainsi comme paralysé. Il vit alors apparaître sur la sphère, le temps d’un battement de cil, le visage de l’oiseau magique qui l’avait tant aidé. Lorsqu’il leva la tête, il constata que ses compères avaient déjà vissé la boule à leur cou. Détail surprenant : tous avaient dessiné le même visage. 

« Vous êtes extraordinaires ! » s’exclama Guruguss.
«  Il est temps de vous féliciter. Applaudissez-vous ! »  

Une véritable euphorie emplit la salle ! Certains laissèrent couler de leurs nouveaux yeux fraîchement dessinés une petite larme d’émotion, bien que leur expression restait figée. Le petit personnage, lui, maladroit comme il était, laissa tomber sa boule alors qu’il s’était empressé d’applaudir les autres pour leur réussite. Celle-ci avait roulé dans un coin de la pièce et il se leva pour la récupérer. En fait, elle était passée dans une sorte de bouche d’aération et y était restée coincée. Le petit personnage ne parvenait pas à l’extraire. 

Il entendit derrière-lui les autres dire : « tiens, lui derrière, il n’a toujours pas sa tête ». 
«  Il n’a pas réussi, contrairement à nous. » 
«  Peut-être qu’il n’était pas prêt ? » 
«  Je pense plutôt qu’il n’est pas des nôtres. » 
«  De toute évidence, c’est quelqu’un de banal qui peine à s’affirmer. » 
« Il serait mieux dehors. Nous, on sait qui on est. » 
«  On a besoin de gens forts et uniques comme nous pour faire front contre la normalité qui nous étouffe. » 
«  Oui, nous, on a mérité notre place ici. Il vaut mieux ne pas garder d’éléments faibles qui pourraient nuire à l’épanouissement de notre projet. »
Le groupe encercla alors le petit personnage qui ne montra aucune résistance. 

Il fut saisi par le col et ramené à la sortie. Ce n’était pas une expérience très agréable pour lui d’être rejeté ainsi, mais une partie de lui était rassurée quant à quitter ce club. Il avait comme un pressentiment que cette voie n’était qu’un leurre, que ces gens se trompaient. Il faut reconnaître que leurs têtes bricolées maladroitement n’étaient pas très convaincantes.

Il se retrouva donc seul à nouveau, au milieu de la place, et vit le groupe repartir fièrement dans la brume enveloppant le vaisseau, convaincus d’avoir agis pour le bien de leur nouvelle communauté. « On ne pouvait pas laisser un intrus accéder au monde de l’Éveil. Nous avons bien fait. » 
« Je me réjouis de ce grand voyage vers Sirius ! Enfin, on rencontrera Guruguss pour de vrai ! » 
«  Quel bonheur de se sentir maître de nous-mêmes ! » 

Seul sur la place, le petit personnage assista à la fermeture du pont qui menait au vaisseau. C’était le petit type trapu qui s’en chargea en tournant une manivelle grinçante. Les projecteurs colorant le nuage s’éteignirent ensuite dans un gros claquement. Après quoi, ce fut au tour du nuage de se dissiper, laissant apparaître les contours du vaisseau. Il s’avéra que ce dernier ressemblait à un conteneur à ordures géant. Sans grand regret, le petit personnage regardait le sinistre moyen de transport prendre son envol, tracté par une sorte de tricycle bancal. Le conducteur ressemblait à s’y méprendre à Guruguss, mais ses vêtements étaient faits de haillons et sa mine était particulièrement fatiguée. La fille aux ailes de fée demeurait assise de l’autre côté du container, sur un petit rebord que le petit homme trapu s’était empressé de rejoindre pendant le « décollage » . Tous deux dégustaient un hamburger.

Le petit personnage se retrouva donc seul sur cette place, toujours sans tête. Mais il se dit que finalement, il valait mieux ne pas avoir la tête sur les épaules que d’en piocher une n’importe où. Mais allait-t-il pouvoir retrouver sa créativité ? 

*** Épilogue ***

Quelques temps plus tard, alors que le petit personnage se promènera dans la ville Biscornue, il passera devant la vitrine d’une vieille brocante particulièrement désordonnée. Quelque chose de familier captera tout de suite son attention : les têtes de mannequins en polystyrène qui y seront exposées. Il constatera que le magasin s’appelle « Sirius ».

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